CENTRAFRIQUE
LES EVEQUES PARLENT
La Croix a rencontré Mgr Aguirre
Quand il pense à ses trente-quatre ans d’expérience en
Centrafrique, Mgr Aguirre courbe la tête sous le poids des souvenirs. « Ma
mémoire est un livre plein de larmes, les larmes de mon peuple »,
commence le missionnaire
combonien. Sous les yeux de cet Espagnol de 59 ans, la Centrafrique
enchaîne les rébellions, les coups d’États, les dictatures, dans un lent
processus alternant destructions et rebonds. « J’ai connu des moments
de joie intense, de joie ecclésiale, précise-t-il. Et j’ai été témoin
d’un volume de souffrance qu’on ne peut expliquer par des mots. »
« C’est
la loi des armes »
En cet été 2013, Mgr Aguirre n’a pas terminé de « compter
les larmes » de son peuple. Isolé à l’est de Bangui, l’évêché de
Bangassou dont il a la charge est sous la coupe des ex-rebelles de la Séléka,
désormais au pouvoir. « C’est la loi des armes », résume-t-il.
Durant leur marche vers la capitale, les rebelles se sont emparés de la région
le 11 mars, réquisitionnant aussitôt 30 véhicules appartenant à l’Église.
Les pillages systématiques ont commencé les jours suivant. « Ils ont
cassé tous les bureaux, la mairie, le cadastre, le tribunal, comme s’ils
avaient voulu anéantir la mémoire historique », observe l’évêque.
Les hommes en treillis n’ont rien respecté, ni l’administration,
ni les bâtiments essentiels. Bâtisseur dans l’âme, Mgr Aguirre avait
développé une maternité, un service pédiatrique, une pharmacie, un centre Internet,
un collège, un garage : tout a été dévalisé minutieusement au fil des semaines
par des soldats livrés à eux-mêmes. La paroisse a perdu ses batteries, son
frigo, les panneaux solaires si utiles en brousse. L’insécurité perdurant, le
commerce s’est effondré. Le gazole se monnaie au prix fort. Les patients
atteints du sida n’ont plus de médicaments pour suivre leur traitement.
« Reste
la foi et l’espérance » ,
résume l’évêque qui n’en a jamais manqué. Il
avait 27 ans lorsque son ordre l’a envoyé à Obo, la ville la plus à l’est
de la Centrafrique, aux frontières du Soudan du Sud. Une mission sans radio,
sans électricité. La capitale était à une semaine de voiture. Mais ses
supérieurs l’avaient bien préparé, en le dotant d’une solide formation en
langue, philosophie et anthropologie, de Madrid à Paris en passant par Rome. « Je
suis arrivé avec ma sacoche de théologie, se rappelle-t-il. Les
habitants d’Obo l’ont rempli de philosophie de vie. Ils m’ont appris à être
missionnaire. »
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