CAMEROUN
Les droits humains en milieu carcéral
Dix-huit morts en six mois dans la prison de
Bertoua
Maltraitance et malnutrition sont les maux qui
sont pointés du doigt. Gardiens de prison et détenus sont déterminés à mettre
fin à l’enfer carcéral de
Bertoua.
« Entre août et
octobre 2012, nous avons enregistré 15 morts ici. Puis, trois détenus sont
décédés entre le 10 et le 13 janvier 2013. Un mort par jour. »
Ces déclarations alarmantes sont d’un personnel en service à la prison centrale
de Bertoua. La ration alimentaire est la principale cause de mortalité dans ce
pénitencier.
Prisonniers mal nourris
Une
autre source ayant longtemps travaillé à la cuisine précise : « Cette ration journalière est composée de
couscous fait à base de farine de manioc et de maïs tandis que la sauce est un
mélange de 50 litres d’eau, d’un demi-litre d’huile de palme, d’un zeste de pâte
d’arachide et de colorant. A cela, on ajoute un mélange de levure chimique et de
farine de manioc pour faire gonfler le
tout. »
« Pourtant le chef de l’Etat
a récemment débloqué une somme totale de 1.5 milliards de francs Cfa pour
améliorer la qualité de la nutrition dans les prisons du Cameroun. La prison
centrale de Bertoua a reçu 26 millions de francs Cfa en liquide pour nourrir ses
500 détenus. Soit un peu plus de 2 millions de francs Cfa par mois, mais, au
final, on ne dépense pas plus de 500.000 francs Cfa avec ces jongleries
culinaires », affirment d’autres personnes travaillant à la
prison.
Conséquence : les services de santé
pointent, « un affaiblissement physique progressif de la plupart des
prisonniers et un accroissement du taux de morbidité ». Malgré cette montée
vertigineuse du nombre de malades, précise un détenu, « l’administration de
la prison a fermé le quartier qui leur était uniquement réservé ». La
raison : « Le régisseur estime que même malades, ces prisonniers peuvent
s’évader ». A cause de cette décision, poursuit un autre détenu, « les
malades cohabitent dans des locaux exigus avec des détenus sains qu’ils
contaminent ».
Pour les mêmes raisons de risque
d’évasion, soutient-on, « l’accès à l’infirmerie, donc aux soins, était
interdit à ces malades qui couraient inexorablement vers la mort. On n’est donc
pas surpris du nombre important de morts ». De sources internes toujours à
la prison centrale de Bertoua, « cette situation a été constatée par Simo
Ndjoko, le délégué régional de l’Administration pénitentiaire lors de sa récente
tournée de prise de contact dans cet établissement pénitencier ». Les mêmes
sources révèlent qu’« au cours de la traditionnelle séance de travail qui
ponctue ce genre de descente, certains détenus ont pris la parole pour dénoncer
tous ces maux et réclamer des solutions à ces mauvais traitements que tous
subissent ».
Surpopulation
Dans un rapport confidentiel adressé
au Garde des Sceaux, une mission d’enquête a établi qu’« effectivement, et
selon les registres de l’infirmerie, dix huit détenus ont trouvé la mort ces
derniers mois à la prison centrale de Bertoua ». Interrogé le 21 janvier
2013 dans son bureau, Ngang Joh Lamya Mama, le régisseur de la
prison, en reconnaît douze. Au cours de notre entretien, le patron des lieux a
trouvé qu’« il était normal de mourir car même dans les hôpitaux de haut
standing, on meurt. Il n’est donc pas étrange de mourir à l’infirmerie de la
prison centrale de Bertoua. » Surtout que, comme l’a également mentionné le
rapport évoqué plus haut, « le plateau technique de cette infirmerie n’est
pas capable de prendre en charge les maladies de la prison ».
A cela s’ajoute, selon le même
rapport et le régisseur, « la promiscuité du fait de l’entassement parfois de
plus de 50 détenus dans des locaux prévus pour 20 ». Et c’est là où le bât
blesse. En effet, « comme toutes les prisons du Cameroun, la prison centrale
de Bertoua souffre d’une surpopulation évaluée à plus de 400% de sa capacité
initiale ». « La prison de Bertoua compte exactement 478 prisonniers pour
une enceinte construite en 1930, pour en accueillir 100 ».
La faute à un système judiciaire qui
n’a pas toujours intégré l’objectif principal du code de procédure pénale dont
l’application devait permettre une décongestion des prisons du Cameroun.
Malheureusement, malgré les possibilités qu’offre ce texte sur les mises en
liberté, on se rend compte que près des trois quart des détenus de nos prisons
restent des prévenus.
Ange-Gabriel OLINGA
(JADE)
Liste des détenus décédés
d’août à octobre 2012 :
1.
Ekoto Martin
2.
Mohamadou Moctar
3.
Ousmanou Assana
4.
Yao Yaya
5.
Sandé Serge
6.
Amadou Ali
7.
Podi Alain
8.
Sali Yola
9.
Mamadou Sanouna
10.
Youssoufa
Nguelnguelde
11.
Awalou Amadou
12.
Aboubakar
Sidiki
13.
Mamadou
Awalou
14.
Ousmanou
Aïdjo
15.
Hamadiko
Ousmanou
Détenus décédés entre le 10 et 13 janvier
2013
1.
Aeme César, le 10
janvier 2013
2.
Mama Dibel Thierry, le 11 janvier
2013
3.
Bili Zambo, le 13 janvier
2013.
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LE REGARD DE "MONDEACONSTRUIRE"
Où va le Cameroun ?
L'Agence "Jade" et ses journalistes réalisent un travail "de fourmis" et plein de risques, pour révéler ce qui se passe dans les prisons camerounaises. Le seul fait qu'ils aient choisi d'étudier "l'Univers carcéral" de ce pays, signifie déjà les larges possibilités qu'ils ont devant eux. Ils ne sont jamais en peine pour trouver de quoi rédiger. Ils ont là, à portée de main, des réserves d'articles pour longtemps. Toutes les prisons sont pleines. Les meilleurs mùinistres et collaborateurs de Monsieur Biya sont arrêtés l'un après l'autre, certains depuis vingt ans. Pour plusieurs, "rien à déclarer"! "Trouvez-lui quelque chose !" hurlera un procureur. On croit rêver ! (Sic, dans les mémoires d'un condamné)
Une jeune étudiante de Droit, membre actif de "Sant'Egidio", nous a raconté elle-même: "Lorsque je suis arrivée dans l'extrême nord du pays, je suis allé voir un homme que l'on nous avait signalé. Il était là, croupissant depuis des années, en prison. A ma demande, personne n'a pu me fournir une seule pièce justifiant pourquoi on l'avait arrêté. Le dossier était vide." La réalité dépasse la fiction.
Dans un pays où les mensonges s'accumulent depuis si longtemps, où la corruption est la "chose la plus partagée du haut en bas de la société", il n'y a plus à s'étonner de rien. Et les plus généreux risquent "d'y perdre leur âme".
Pierre Jarret
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