dimanche 14 septembre 2014

FAMILLE SALESIENNE


Homélie pour mes 75 ans de vie salésienne

(14 septembre 1939 – 14 sep 2014)

(Nb 21, 4-9,Ph 2,6-11,Jn 3,13-17)

 

Nous sommes le 14 septembre 1939. Je viens d’avoir mes 17 ans le 31 août. Avec une douzaine d’autres jeunes, tous, mes aînés, nous venons de terminer l’année de notre noviciat, près de Toulon, dans la maison de La Navarre, une des trois avec Marseille et Nice, ouvertes par Don Bosco lui-même.  La retraite vient de nous être prêchée par le Père Louis Cartier. Ce Père, un savoyard, donc proche des Alpes et de Turin a été  le premier salésien français. Don Bosco lui a confié immédiatement la Maison de Nice, et l’a chargé d’y construire la belle Eglise à Notre Dame auxiliatrice.

Ce Père qui a donc connu Don Bosco, vient de nous prêcher la retraite qui se termine en ce 14 septembre par nos premiers vœux. Au  cours de cette retraite, je suis chargé par le Père Hubert Amielh, notre maître des  novices, d’apporter chaque matin à notre prédicateur quelques feuilles de papier. Or, le père est devenu aveugle. Mais chaque matin, je le vois griffonner quelques mots sur ces feuilles que je lui tends. J’ai toujours pensé que ces gribouillages qu’il ne voyait pas, l’aidaient à se fixer des souvenirs. En tout cas, il ne nous a jamais parlé moins d’une heure, matin et soir, et ces mots étaient pleins de la vie de Don Bosco. Ces premiers salésiens avaient vu leur fondateur faire des miracles. Ils l’avaient vu multiplier les petits pains pour le déjeuner. Ce Père Cartier lui-même se souvenait d’un compagnon très malade. Don Bosco avait déposé sur sa tête sa propre barrette et le jeune avait été guéri rapidement.

A la fin de la retraite, le Maître des novices nous demande de passer voir le Père Prédicateur. J’y vais moi aussi. Le Père me dit : 

« Mon petit, avez-vous bien cueilli les fruits de la retraite ? » Je crois bon de lui répondre que j’ai fait tout mon possible pour bien faire ma retraite.» Mais le Père Cartier insiste : « Non, non, les fruits de la retraite. Il y a de la vigne ici. Don Bosco lui-même, a reconnu cette terre comme une terre à vigne, et il en a fait planter davantage. Avez-vous cueilli les fruits de la retraie ? » J’ai compris qu’il était heureux que j’aie mangé du bon raisin. Mais j’ai surtout compris que Don Bosco avait laissé ses premiers salésiens bien plantés sur la terre. Cet homme qu’ils avaient connu avec ses miracles était bien resté attentif à la vie de tous les jours. « Les merveilles de Dieu » ne lui avaient pas tourné la tête. Il savait leur redire : « Soyez joyeux pour devenir des saints. » La vie spirituelle de Don Bosco se base bien sur l’Evangile de ce jour : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas. »(Jn 3,16) Et ce n’est pas triste de vivre dans le Seigneur!

Deuxième épisode. En 1942, trois ans après le noviciat, je me trouve avec le Père Auguste  Arribat, dont la cause vient d’être introduite à Rome. J’ai 20 ans. Je suis jeune séminariste. Nous sommes à Villemur, à une trentaine de km de Toulouse. C’est l’époque  où les allemands envahissent la zone encore dite « zone libre », en gros la moitié sud de la France. Les allemands occupent les jours suivants une partie de la Maison.

Le Père Arribat vient un soir me trouver. Il fait déjà nuit. Il me dit : «Nous venons de recevoir 3 jeune juifs !  Il faudrait leur apprendre à faire le signe de croix, la génuflexion, et, si vous pouvez, le Notre Père. » Je demande : « Qui nous envoie ces jeunes juifs ? » « C’est Pie XII, me répond le Père. Pie XII a invité tous nos évêques à porter secours à toutes les familles juives poursuivies par le nazisme. Le Cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, a écrit à toutes les paroisses et aux institutions. »

J’ai donc essayé ce soir-là d’enseigner ces jeunes pour qu’à la messe du lendemain matin, à laquelle tous les élèves internes assistaient chaque jour, ils puissent ne pas trop attirer l’attention des autres. J’ai réussi tant bien que mal, à leur faire faire le signe de la croix, et la génuflexion. Il n’était pas possible d’apprendre le Notre Père en si peu de temps.

Sur les trois jeunes juifs que le Père Arribat m’a confiés ce soir-là, deux vivent encore. Le troisième, Paul Futter, qui prit le risque de sortir de l’école pour aller voir ses parents, a été massacré horriblement par la Gestapo. Les anciens de Don Bosco de cette petite ville de Villemur viennent se recueillir chaque année devant le petit monument de son martyre. A la suite du Christ, combien sont morts eux aussi « sur une croix » (Ph 2,8)

Tous les serpents de bronze ne sont pas tous du temps de Moïse. Il a fallu des actes courageux pour sauver des vies humaines. Pie XII en a eu sa large part. Le célèbre Yad Vaschem de Jérusalem a changé lui-même le texte qui accompagnait la photo de Pie XII. Le monde entier sait maintenant après les dernières recherches, qu’il n’y a eu qu’un seul train de juifs à quitter Rome. Pie XII appelait dès le lendemain matin, son neveu diplomate Pacelli qui allait trouver le trop célèbre Himmler, chargé de faire partir les trains de la mort. Quel mystérieux serpent de bronze a fait reculer ce tortionnaire qui, dans toute l’Europe, n’avait jamais assez de juifs pour envoyer à son chef Hitler ?

Notre bréviaire nous donne ce matin dans l’office des lectures le rappel de Paul aux Galates : « Avec le Christ, je suis un crucifié ; je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Gal 2, 19-20)

Avec la Vierge Marie, le Christ nous a accompagnés toute notre vie chez Don Bosco. Nous lui rendons grâce, Il nous accompagne encore aujourd’hui. Faisons notre l’antienne du Magnificat de ce jour : « Croix glorieuse, signe de victoire, conduis-nous dans la Cité de Dieu. ». Amen !

Jean Baptiste Beraud, sdb

 

 

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