TCHAD
Un évêque expulsé du Tchad
pour avoir dénoncé les injustices
sociales
"C'est sous ce titre que la Croix du 16 octobre
publie ce texte que nous reproduisons sans commentaire"
Mondeaconstruire
Religieux d’origine italienne,
Mgr Michele Russo a été prié de quitter le Tchad ce week-end, après avoir tenu
des propos critiques sur la gestion des ressources pétrolières dans ce pays
d’Afrique.
Encore
sous le choc, il préfère ne pas s’étendre sur sa mésaventure. Joint par La
Croix à Rome, où il a atterri dimanche 14 octobre après s’être fait sèchement
expulsé du Tchad, Mgr Michele Russo, évêque de Doba (Sud), confie avoir de bons
espoirs de rentrer sous peu dans son pays d’adoption. Ce week-end, la
Conférence des évêques du Tchad avait exprimé sa « grande tristesse », évoquant
un fait « sans précédent ». Des négociations entre le Vatican et les autorités
tchadiennes sont en cours. Et le religieux combonien sait qu’il risque
d’envenimer la situation en s’exprimant publiquement.
C’est une homélie prononcée le 30 septembre, dans laquelle
l’évêque d’origine italienne avait critiqué la gestion des revenus pétroliers
du Tchad, qui lui a valu de s’attirer les foudres du gouvernement, dans un pays
d’où sortent chaque jour 120 000 barils, et où le pétrole a permis de
moderniser l’armée et les infrastructures routières.
Le pétrole ne
doit pas être
« le monopole d’un parti ou d’une ethnie »
Vendredi dernier, N’Djamena lui a intimé l’ordre de quitter le
pays, ne lui laissant qu’une semaine pour faire ses valises. Motif : l’évêque
âgé de 67 ans, en poste depuis vingt-trois ans à Doba, se serait rendu coupable
d’« activités incompatibles avec son statut ». Mais dans une dépêche publiée
samedi, l’agence Fides indique que les propos de Mgr Russo ont été mal traduits
par la radio privée tchadienne qui les a retransmis.
Simple malentendu ou réelle sanction politique ? Selon une copie
originale de l’homélie incriminée, transmise par une source religieuse, il
semble que l’évêque ait effectivement pris position en faveur d’une plus grande
justice sociale, avec fermeté mais sans exagération.
« C’est absurde et injuste de continuer à vivre dans la misère quand
de nos terres de Kome (Sud) sortent chaque jour des milliards qui s’en vont en
Amérique », souligne ce texte en français qui compte de nombreuses mentions
bibliques et spirituelles. Reprenant des éléments déjà connus, Mgr Russo
rappelle que, pour l’Église catholique, le pétrole ne doit pas être « le
monopole d’un parti ou d’une ethnie », mais profiter à l’ensemble de la
population.
« Dans le
collimateur du gouvernement »
Loin d’être une voix isolée, Mgr Russo s’inscrit dans la droite
ligne des évêques du Tchad, qui ont toujours pris fait et cause pour les
oubliés de l’or noir. Mais à la différence de ses confrères, il était « dans le
collimateur du gouvernement », confie l’un de ses anciens collaborateurs : «
Étant étranger, on pouvait l’expulser. Cette affaire d’homélie n’est qu’un
prétexte. » Ce bon connaisseur de l’Église tchadienne confirme que l’évêque de
Doba « a toujours considéré qu’il était de son devoir de mettre les points sur
les “i” et de défendre les plus démunis ». Cette posture a dû « finir par
fatiguer les autorités », avance-t-il.
Derrière l’enjeu de la redistribution des richesses, Jean-Pierre
Dozon, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales,
croit discerner pour sa part des rivalités religieuses et politiques liées à
l’histoire tumultueuse de l’ancienne colonie française. « Le pays reste très
divisé entre un Nord majoritairement musulman et un Sud largement chrétien »,
analyse ce spécialiste de l’Afrique. Or, c’est la population du Nord, région
désertique alors instable et délaissée par les colonisateurs, qui a pris le
pouvoir dans les années 1970.
L’actuel président, Idriss Déby, est d’ailleurs lui-même issu
d’une famille musulmane. Selon Jean-Pierre Dozon, le ressentiment entre les
deux communautés est bien réel. « Cela explique la susceptibilité du gouvernement.
Le fait qu’un évêque chrétien, et à plus forte raison européen, critique la
gestion des ressources pétrolières a dû être très mal interprété. »
François-Xavier
Maigre
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