AU CAMEROUN,
LE CALVAIRE D’UN JEUNE CINEASTE
ENLEVE ET TORTURE
Article du quotidien "LA CROIX"
du 16 avril 2013
La CROIX,
fondé par les Assomptionnistes
de Paris est un des quotidiens
reçus chaque jour au Vatican.
Son dernier film, « 139… Les
derniers prédateurs », raconte l’histoire d’un dictateur dans un pays africain
imaginaire. Un sujet qui n’a pas plu à ses geôliers.
Après avoir été enlevé et
séquestré du 24 mars au 3 avril, le cinéaste camerounais Richard Djif vit
caché.
« Je me cache depuis une semaine chez des amis. Je change
d’adresse tous les jours. Je suis sans défense contre ceux qui veulent me tuer
», témoigne à La Croix, d’un lieu tenu secret, le jeune cinéaste
camerounais Richard Djif.
« Depuis que nous avons montré au public notre
dernier film : « 139… Les derniers prédateurs », nous vivons un enfer », ajoute
Boris Talom, l’un de ses associés. Le scénario n’est pas anodin : dans un pays
africain fictif, deux journalistes enquêtent sur la longévité surprenante d’un
dictateur au pouvoir.
Cela n’a pas plu dans le Cameroun de Paul Biya, le président au
pouvoir sans partage depuis 1982. « Le film est sorti le 10 mars à Douala et le
13 mars à l’Institut français de Yaoundé. Aussitôt après, nous avons commencé à
recevoir des menaces de mort par SMS », affirme Boris Talom. « Je me sentais
épié, ajoute Richard Djif, dont c’est le troisième film. Et puis, tout a
basculé ».
Dans la nuit du 23 au 24 mars, le jeune cinéaste (35 ans),
titulaire d’une maîtrise d’arts et spectacles de l’université de Yaoundé, est
enlevé par quatre hommes : « On m’a balancé dans une voiture, mis un pistolet
sur la tempe ». Que voulaient ses ravisseurs ? « Ils m’ont posé les mêmes
questions : qui finance mon film ? Quelles sont mes relations avec feu Pius
Njawe (ndlr. Fondateur décédé du quotidien d'opposition "Le Messager", détenu à plusieurs reprises par le Régime) ? Avec l’Association de défense des droits des étudiants du Cameroun
(Addec) (ndlr. Les dirigeants de l'ADDEC ont été plusieurs fois détenus et torturés)? Avec Jean-Pierre Bekolo ? Avec la ministre de la culture Ama Tutu
? ».
« Plusieurs
fois, j’ai cru que j’allais mourir »
« Ils me frappaient, me jetaient violemment à terre, me jetaient
contre une porte, m’étranglaient, me torturaient avec un couteau pour que je
leur dise ce qu’ils voulaient entendre. L’un d’eux m’a fortement entaillé un
doigt. Plusieurs fois, j’ai cru que j’allais mourir. » Un soir, le cinéaste est
conduit dans un marécage pour y être exécuté. Il s’enfuit, erre toute la nuit
avant de trouver un passant qui lui porte secours. C’était le mercredi 3 avril.
Richard Djif est conduit aussitôt à l’hôpital : « Je n’ai plus
quitté Richard depuis cette date, explique Boris Talom. L’hôpital n’a pas voulu
lui donner des soins tout de suite ». Le 5 avril, un chirurgien décide de
l’opérer du doigt. Ils restent enfermés dans une chambre, gardés par des
gendarmes et des policiers, visites interdites. Pendant cette quarantaine, des
policiers interrogent Richard Djif. « Ils m’ont posé les mêmes questions que
mes ravisseurs. Cela m’a troublé, raconte-t-il. Et ils voulaient savoir si
j’étais capable d’identifier mes ravisseurs. Ce n’était pas le cas. D’où leur
soulagement visible ».
Le lundi 7 avril, les deux amis quittent l’hôpital, convoqués à
la police judiciaire. « Nous avons été interrogés de 14 heures à 19 heures.
Puis les policiers nous ont dit que nous pouvions retourner chez nous. Mais
nous avions peur, nous leur avons demandé une protection. Ils ont refusé.
Alors, nous sommes restés pour la nuit. Le lendemain, le commissaire nous dit
que, s’ils nous arrivaient quelque chose ici, il « n’y pourrait rien ». Nous
avons quitté les lieux. Et depuis, nous vivons la peur au ventre, sans
protection, sans défense, cachés dans Yaoundé ».
Paul Biya
écrase toute forme de contestation
Florent Geel, du bureau Afrique de la Fédération internationale
des droits de l’homme, prend l’histoire de Richard Djif très au sérieux : «
Nous avons été alertés par sa situation. Ce qui lui est arrivé n’est pas une
surprise. Depuis quelques semaines, nous assistons à une crispation au
Cameroun. Les autorités ne supportent pas tous ceux qui remettent en cause la
gestion du pouvoir depuis 1982 ».
Pour se maintenir au pouvoir depuis si longtemps, Paul Biya
écrase toute forme de contestation. L’histoire de Richard Djif en rappelle
d’autres évoquées par Fanny Pigeaud, dans son livre enquête Au Cameroun de Paul
Biya . Cette auteure signale les violences de l’armée, des forces de
sécurités contre ceux qui osent critiquer ce régime autoritaire : « Malgré leur
gravité, écrit-elle, aucune enquête n’est jamais lancée pour déterminer les
circonstances et les responsabilités de ces « dérapages » : les forces de
sécurités bénéficient d’une impunité quasi totale, qui rappelle celle des
longues années de régime d’exception, dont elles ont gardé de nombreux réflexes
».
LAURENT
LARCHER